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52 경찰학연구제 12 권제 3 호 ( 통권제 31 호 )

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Transcription:

Riz et colonisation en Corée et dans l Indochine française1 Edgard Pich(University of Lyons, France) 한국과 인도차이나의 쌀과 식민지화 에 트 갸 르 삐 크 (리 옹 대 교 수 ) Résumé Il est évident que la question du riz, culture vivrière et production économique essentielle, a déterminé profondément le rapport entre le colonisateur et le colonisé, qu il s agisse de la Corée ou de l Indochine, que le colonisateur ait été français ou japonais. Pour aborder ce sujet nous proposons deux séries de réflexions sur des principes d abord, sur des situations ensuite. Tout d abord sur deux principes. Le premier est celui même de colonisation, que nous avons tenté de définir de façon plus complexe qu on ne le fait habituellement, non pas comme rapport entre deux forces opposées, mais entre des peuples qui engagent dans le processus des forces différentes et même quelquefois opposées : capitalistes et «petits blancs» du côté français ; peuples de culture indienne et de culture chinoise du côté de l Indochine ; pouvoir politique et militaire et émigrants du côté du Japon ; religieux, nobles et paysans du côté coréen. Et encore ne s agit-il là que d une version simplifiée de la réalité : les colonisateurs français de l Indochine se considèrent comme des concurrents de colonisateurs chinois et, dans les années 1920-1940, ils verront arriver leur propre concurrent, le concurrent japonais. En second lieu, sans négliger les données objectives, fournies par Sauf indication contraire les ouvrages et articles que nous citons ont été publiés à Paris. Nous utilisons Indochine et non pas Vietnam, d abord parce que ces deux noms propres ne désignent pas le même territoire, ensuite parce que c est le nom qu on utilise couramment dans la période que nous étudions. 1-129 -

les historiens, nous avons voulu mettre en évidence le vécu de certains sujets qui ont été des acteurs, d un côté ou de l autre, dans le processus. Pour cela, nous avons choisi, du côté de l Indochine, le point de vue d une famille française, la famille Donnadieu, tel qu on peut l approcher à travers le roman et les autobiographies d une fille de cette famille, qui a pris bien plus tard le pseudonyme de Marguerite Duras pour évoquer son enfance et son adolescence au Cambodge et au sud du Vietnam. Du côté coréen, nous avons au contraire choisi le point de vue des colonisés, auquel s identifie, après coup, le grand romancier Jo Jong-nae, dans le tome IV d Arirang notamment. Du point de vue de la situation, la première observation qui se dégage de cette enquête c est que, de façon assez curieuse, les Japonais et les Français ont abordé le problème du riz de la même façon par le biais du concept administratif de cadastre. En vue de moderniser, ont-ils dit, l activité agricole, les deux colonisateurs ont exigé des occupants du sol qu ils fournissent des titres écrits pour en être reconnus propriétaires. Cette vérification a eu pour effet, et sans doute aussi, comme intention, de déposséder les paysans installés de façon immémoriale sur leurs terres, au profit des colons. Mais cet effet n a pas été simple : les nobles, ou une partie importante d entre eux, ont aussi pris leur part de cette aubaine ; à l inverse, le petit colon français s est parfois vu attribuer des terres sans valeur agricole, qu il ne savait pas cultiver, où il s est rapidement ruiné, où il a laissé parfois sa santé ou même sa vie. Dans les deux cas en définitive, on ne peut parler d une simple spoliation des autochtones au profit des étrangers. Certains étrangers, se trouvent, de fait du côté des colonisés et non du côté de l administration française ; de son côté, le romancier coréen se garde bien d affirmer que tous les malheurs de la Corée étaient d origine étrangère ; il souligne au contraire que le départ des Japonais en 1945 n a pas produit automatiquement la prospérité et la concorde chez les Coréens : il n a fait que préluder au conflit militaire le plus violent et le plus fratricide que le pays ait connu. - 130 -

Abstract It is obvious that the question of rice, vital culture and essential economic product, profoundly determined the interaction between the colonisator and the colonised, both in the case of Korea and Indochina, either the colonisators were the French or Japanese. To introduce this subject, I suggest two series of remarks, first about the principles, about the situation. First of all I want to talk about two principles. The first is that of colonisation in which I have tried to define it in a more complex manner than usual, not as a relation between two opposite strengths, but between the groups which engage in the different, sometimes opposite process, strengths: capitalist companies and of poor whites France s side; culturally Indian groups and Vietnamese or even Chinese groups Indochina s side. Political and military forces and emigrants on the Japan s side; religious men, nobles, soldiers and farmers on the Korean side. Nevertheless, such an interpretation is not enough to realize the complexity of the situation: French colonisators, for example, think of themselves as competitors of previous Chinese colonisators, and, in the years 1920-1940, they met another concurrent, the Japanese.. Secondly, without neglecting the objective facts which the historians have established, I whish emphasize the ideas and feelings of some people who were agents in both side during the process. For that purpose, I have chosen, the Indochina side from a French family, called Donnadieu, whom we can get to know through a novel and autobiographies of a daughter of this family, who, many years after, took the pseudonym of Marguerite Duras and became one of the most famous author of the French literature in the second part of XXth century. On the Korean side, I have chosen to be in the shoes the point of view of colonised, on which the famous novelist Jo Jong-nae selected to write an epic novel in which the 4 th volume is the most prominent of this situation. - 131 -

If we look at the situation, the first conclusion which we can get out is the fact that unexpectedly both the French and the Japanese tackled the question of rice with the same method, through the administrative concept of land register (To ji dae jang, Ji jeok boo). In order to modernize, according to them, both of the colonisators demanded the ones who were taking up different parts of land to give them written evidence so that they can be recognized as landowners. Certainly such a control had an effect, and probably also an intention, in being able to dispossess an important part of farmers, who have always considered themselves as landowners, exploited by the colonisators. But the process was complex: in Korea a part of noblemen made a good use of the process, in collaboration with Japanese administration. On the other hand, in Indochina, some poor French colonisators who don t even know how to cultivate received lands without agricultural value, were left to go bankrupt, sometimes suffer from tropical illnesses, and even die. In both situations, we cannot simply speak about dispossession of natives by the foreigners. A part of foreigners were on the colonised people s side ; on the other hand the Korean novelist keeps on saying that all the Korean tragedies were due to the foreigners. He emphasizes on the contrary that in 1945 the leaving of the Japanese did not have an automatic effect on the well-being and reconciling the Koreans : the fact was that it had been only the prelude for the most violent and fratricidic military conflict the most violent and fratricide the nation had ever seen. Si l on voulait rendre compte de façon sommaire mais forte en même temps de l opposition entre le monde méditerranéen et le versant Pacifique de l Asie, on pourrait sans aucun doute recourir aux quatre produits alimentaires les plus caractéristiques que sont d un côté le pain et le vin, de l autre le riz et le thé. Ces quatre produits, qui sont à la base de l alimentation dans ces deux régions du monde, jouent un rôle - 132 -

déterminant à la fois dans l alimentation, la culture, l économie et la politique et l on comprend facilement qu ils soient systématiquement en jeu dans les changements historiques qui ont affecté chacune des deux régions. Si l on s en tient au riz, le développement de phénomènes historiques comme la colonisation, par les pays européens, ou l occupation par les armées japonaises de certains pays asiatiques pendant le XXe siècle c est une hypothèse raisonnable - ont affecté en profondeur toute l économie du riz, économie étant ici entendue dans son sens primitif : toutes les activités humaines. Le problème que nous voudrions aborder, mais à la façon d une introduction et en mettant l accent sur la méthodologie de la recherche, c est donc celui de la rencontre entre le produit concerné et le phénomène historique et cela d une façon comparative (Corée et Indochine), pendant la première moitié du XXe siècle, en nous fondant sur des analyses qui ont déjà été menées et qui continuent à être menées par des chercheurs et des spécialistes d un grand nombre de pays. I. Questions de méthode La difficulté de la recherche réside essentiellement dans la complexité des faits. Cette complexité peut être analysée à deux niveaux différents. Tout d abord, on vient de le voir, le riz engage des séries très diverses d activités humaines, technologiques, sociologiques, économiques qu il convient d articuler, selon des procédures qu il n est pas facile de rendre cohérentes. On pourrait dire que le riz, comme les trois autres produits déjà nommés nourrit deux fois les sociétés où il est cultivé et consommé : une fois au sens propre comme aliment de base, une seconde fois comme l un des moteurs les plus puissants de la vie sociale, économique, culturelle, politique. Ou, pour le dire d une autre façon, le riz est l un des éléments essentiel du langage commun (le langage est le - 133 -

lieu où s expriment les tensions et les convergences) à toute une série de sociétés. Un langage aussi puissant que la langue chinoise écrite sur tout le versant Pacifique de l Asie, du nord de la Corée et du Japon jusqu à l Australie. Le second point et le plus épineux concerne la notion même de colonisation. L encyclopédie Wikipedia propose en introduction la définition suivante, discutée d ailleurs dans la suite de l article : La colonisation désigne le processus par lequel un pays ou un groupe de personnes établit une ou plusieurs colonies sur un territoire étranger (déjà occupé ou non par une population). (p. 1) Cette définition me paraît très contestable et confuse : peut-on parler de colonisation d un pays vierge de toute présence humaine, l île de la Réunion par exemple? D autre part elle est tautologique : la colonisation, c est le fait qu il y ait des colonies, comme l opium fait dormir parce qu il a une vertu dormitive. Assurément, mais qu est-ce qu une colonie? Enfin et surtout, c est l emploi et du singulier : «un pays», «une population» qui me paraît discutable. Ces mots ne seraient acceptables que si on leur donnait un sens strictement géographique : un «pays» serait dans ce cas seulement l espace (délimité selon quelle procédure?) où interviendrait le colonisateur, et la «population» concernée serait formée par les êtres humains qui vivaient antérieurement sur ce «territoire», indépendamment des différences ethniques, sociales, politiques qu on pourrait y observer. Si l on prend un cas classique de la colonisation française, celle de l Afrique du Nord ou Maghreb, on voit immédiatement que cette vision, d une simplification extrême, ne permet en aucune façon de rendre compte de la réalité du phénomène colonial. La France qui s installe dans cette région dans la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle n a rien d homogène : elle se divise, au moins, en - 134 -

trois ensembles distincts et quelquefois même hostiles l un à l autre : l armée et l administration, qui prennent en effet le contrôle politique de ces pays ; des propriétaires fonciers et des industriels qui exploitent les ressources de la région, sans d ailleurs, quelquefois, y habiter de façon permanente ; enfin une population assez nombreuse venue de France, victime de crises économiques ou de révolutions politiques (la Commune de Paris), qui cherche à survivre à des difficultés économiques et politiques sans solution dans le pays d origine. Le cas de l Amérique du nord, qui n est qu une immense colonie, est significatif : l immense majorité y est formée d Européens qui ont quitté l Europe faute de moyens économiques et politiques d y survivre. Cette situation est donc complexe, mais il faut encore ajouter deux autres considérations : la France a bien colonisé l Afrique du Nord ; mais les Italiens, en Tunisie surtout, et les Espagnols, en Algérie et au Maroc surtout, ont joué un rôle important dans ce processus, même si leur présence n a pas été de même nature, politiquement, que celle des Français. En second lieu, «la population colonisée» est loin elle aussi d être homogène : les trois pays du Maghreb comprenaient un certain nombre d éléments turcs, puisque, au moins officiellement, ils font partie de l Empire ottoman. Mais surtout la population était et reste d ailleurs divisée en deux ensembles ethniques, les Arabes et les Berbères, souvent, à l époque et aujourd hui, fortement différenciés au point que certains Berbères se décrivent eux-mêmes comme colonisés par les Arabes, sans parler des Juifs qui ont un statut particulier. La colonisation a donc pour effet d introduire dans une situation déjà complexe un ou plusieurs éléments qui accentuent ou modifient profondément cette complexité. Le territoire colonisé on le voit encore davantage dans l Afrique au sud du Sahara est une mosaïque de populations où la population blanche introduit de nouveaux éléments de complexité, avec des effets quelquefois déroutants, quelquefois en assurant la promotion d une ethnie aux dépens des autres, quelquefois - 135 -

en provoquant, entre les populations autochtones et contre le dernier colonisateur, des coalitions souvent éphémères et superficielles qui ne résistent pas, on le voit bien de nos jours, au processus de décolonisation 2. Sur un autre point, l analyse du phénomène colonial présente des difficultés particulières pour l historien. La tâche de celui-ci pourrait être définie de deux façons contradictoires et exclusives l une de l autre. La tâche de l historien et de l écrivain en général, l histoire n étant dans ce cas qu un sous-genre littéraire, consisterait à recueillir et à formaliser le discours de l une des catégories d acteurs du processus colonial ; la littérature francophone offre des exemples particulièrement clairs de ce processus ; généralement c est le discours du colonisé décolonisé, comme on le voit au Maghreb ou en Afrique noire, avec cette contradiction que le discours du colonisé emprunte sa langue au colonisateur et que la langue du colonisé, même la langue arabe, dont le passé est pourtant prestigieux, reste généralement à l écart de cette problématique. Difficile en revanche d imaginer un discours sur la colonisation de la Corée par les Japonais écrit par un Coréen en japonais! L autre solution consiste à articuler les différents discours tenus par les différentes composantes de l espace colonial. Mais cet objectif est-il accessible? L historien-écrivain est, le plus souvent, engagé, qu il le revendique ou le nie. Ce à quoi il se trouve souvent réduit, c est en fait à une série de corrections. Dans Voyage au bout de la nuit (1932) Céline met en perspective trois discours qui se superposent et s opposent, celui 2 Nous n aborderons pas ici une autre complexité, à savoir que le mode de colonisation des Anglais et des Français sont différents voire opposés. Voir à ce sujet Richard White, Le Middle Ground, traduction française, 2009, Anacharsis, sur les rapports entre les Indiens du Canada d une part et les Français et les Anglais d autre part, ainsi que notre propre communication sur la colonisation de l Inde par les Français et les Anglais, E. Pich, «Leconte de Lisle et l énigme «Bhagavat»», in L Usage de l Inde, éd. Kailasa, 2006, p. 327-338 : deux concepts de colonie que tout oppose : extériorité des colons anglais, métissage des colons français. - 136 -

du grand capitaliste, celui du noir et celui du «petit blanc» ; il se définit lui-même en tant que «petit blanc» ou colonisateur pauvre : celui qui a le maximum de chances de parvenir à cette inaccessible complexité, ce qui aboutit de fait à son exclusion, sa mise au ban de la sociétémosaïque coloniale. Il ne fera pas de vieux os en Afrique, et ne trouvera dans la Terre promise que pourrait être l Amérique, qu une variante de la société coloniale africaine ; il se résigne en fin de parcours à revenir dans son pays natal, la France, qui n est pas un pays moins colonisé que les pays qui sont considérés officiellement comme tels, et y exercera le métier symbolique de médecin des pauvres. C est à la lumière de ces considérations générales que nous nous proposons de faire un certain nombre de remarques sur le traitement du riz dans la situation coloniale ou d occupation militaire en Corée et dans l Indochine coloniale. II Textes et intentions Pour traiter ce problème nous avons eu recours à deux types de documents : tout d abord des ouvrages généraux et spécialisés. Pour la Corée : André Fabre, La Grande histoire de la Corée, Fabre, 1988 ; Li Ogg, La Corée des origines à nos jours, Léopard d or, 1988. Pour l Indochine, Nicole Tran Minh, Le Riz au Cambodge, au Laos, au Vietnam, 1988-1991, Cirad, 1992 ; Pierre Brocheux, La Colonisation ambiguë (1858-1911), La Découverte, 2 ème éd. 2001. Ensuite une série d œuvres littéraires. Pour la Corée, le roman en 12 volumes de Arirang de Jo Jong-nae, traduits en français, en particulier le t. IV, L Harmattan, 2002, «Tout citoyen incarne la patrie», traduit par Byon Jeong-won et Georges Ziegelmeyer 3 ; pour l Indochine, trois textes (romans ou autobiographies romancées) de Marguerite Duras (pseudonyme de Marguerite Donnadieu, 1914-1996), Un Barrage contre 3 Quand nous donnerons des citations de ce volume nous en indiquerons seulement la page, sans autre précision. - 137 -

le Pacifique, folio, 1950 4 ; L Amant, Editions de Minuit, 1984 et L Amant de la Chine du Nord, Folio, 1991. Nous avons ainsi choisi deux auteurs parmi les plus célèbres de leur époque dans leur pays respectifs : Jo Jong-nae a été proposé pour le prix Nobel de Littérature et Marguerite Duras reste l un des auteurs les plus lus et les plus commentés en France. Ces deux séries de documents doivent être mises en perspective. Il me semble d abord qu ils ne nous offrent pas objectivement des visions très différentes de la réalité, du lieu, de l époque : leur dimension subjective est partout sensible et essentielle. Les ouvrages historiques offrent ou prétendent offrir une vision objective de la réalité ; du moins le «je» y est inconnu et les opinions personnelles ne se manifestent pas comme telles. Les œuvres littéraires se présentent d une façon différente : la grande œuvre épique de Jo Jong-nae ne cache pas sa vision patriotique : montrer la résistance de la nation coréenne à l oppression japonaise, mais cette formulation pose problème : car la nation coréenne, d auteur ne le cache nullement, est désunie et il s agit entre les Coréens et les Japonais de tout autre chose que ce qu on appelle la Collaboration en France (1940-1945). En France, l occupation allemande a été très limitée géographiquement et dans le temps. En Corée, les Japonais ont été partout et l occupation a duré environ un demi-siècle 5. Le dessein de Jo Jong-nae me semble donc être plutôt (du point de vue du lecteur européen), non pas de montrer le maintien de la cohésion nationale mais plutôt comment cette cohésion nationale a pu (aurait pu) progresser grâce à l opposition grandissante à l occupant ; cette épopée, malgré les apparences, pourrait plutôt être définie comme la «Naissance d une nation» (titre d un film célèbre), avec en contrepoint, à l horizon la terrible guerre civile dont les conséquences se lisent encore aujourd hui sur le terrain (le 38 ème parallèle). La 4 Cet ouvrage a été adapté au cinéma en 2008 par un réalisateur cambodgien, Rithy Panh. 5 Les Japonais sont intervenus en Corée bien avant 1905 (par exemple en 1876). - 138 -

colonisation-occupation aurait pu avoir quelque chose de positif, non pas dans le sens des «révisionnistes» français actuels pour qui l Afrique archaïque a été modernisée 6 par les colons européens, mais d une façon opposée par le fait qu elle a favorisé une unité, d ailleurs plus rêvée que réelle, à la fin des hostilités, unité qui n existait pas ou qui du moins était peu consciente. Tout ce discours pourrait donc être envisagé comme celui d un patriotisme à créer, au prix d un labeur particulièrement ardu la difficulté étant à la fois politique pendant l occupation et littéraire pendant la rédaction de cet immense poème. Néanmoins, l auteur de cette épopée romanesque s identifie clairement et honnêtement à son objet, cependant que les historiens de métier semblent, sans y parvenir, vouloir suspendre leur engagement. Ce faisant, ils censurent simultanément la subjectivité des acteurs de l histoire et leur propre subjectivité : il y a une sorte de caractère factice, de fabriqué, dans la construction même du propos. La situation de Marguerite Duras peut être analysée d une façon comparable. Pendant son séjour au Cambodge (1928-1930) puis au Vietnam (1930-1933) avec sa mère et ses deux frères, elle est une petite fille puis une jeune fille qui vit son adolescence de façon passablement narcissique, non sans observer avec une certaine perspicacité la situation économique et sociale où elle est, avec sa famille, engagée. Longtemps après cet épisode, en 1950 d abord, puis en 1984 d une tout autre façon, qui n est plus romanesque, elle revient sur son adolescence indochinoise, non pas pour en analyser à la façon d un historien ou d un critique les 6 Il est évident, même si cela n apparaît pas très clairement dans le roman coréen (cependant, p. 292, à propos de l inauguration d une voie de chemin de fer : «Ces travaux, qui avaient coûté une somme colossale, avaient servi à accréditer l idée que le Japon faisait entrer la Corée dans le monde moderne») que le colonisateur japonais a utilisé l argument de la modernisation vis-à-vis du colonisé coréen. Notons en passant que cet argument est utilisé exactement de la même façon vis-à-vis (contre) la population dominée à l intérieur du pays colonisateur (Japon, France) à l époque et aujourd hui même : le chômage et l exclusion seraient des signes de modernité. Li Ogg, (op. cit. p. 370-371) note le fort développement de l industrie en Corée entre 1920 et 1930. - 139 -

diverses facettes, mais, semble-t-il, plutôt pour retrouver en quelque sorte la voix qu elle avait à ce moment précis où tout son avenir, littéraire en particulier (c est la naissance non pas d une nation mais d un écrivain) s est décidé. L intérêt de cette partie de son œuvre, c est qu on y entend après coup, comme dans l épopée coréenne, une voix qu elle a dû chercher au prix d un effort considérable dans un fond devenu quasiment inaccessible de sa mémoire. De notre point de vue, cette voix, naïve, est celle d un membre du corps des colonisateurs, mais dont la conscience politique est à peine esquissée et perceptible, même si la vieille dame qui tient la plume pourrait se livrer à des analyses abstraites et politiques, ce qu elle se refuse faire parce que ce n est pas son projet. Mais entre l œuvre de M. Duras et celle de Jo Jong-nae, il existe une différence culturelle essentielle. Le récit européen, donc celui de M. Duras, est dans son principe positif. Il ne s agit pas de dire ni de penser que cet épisode colonial a une dimension positive : Duras, dans son propre retour sur sa propre histoire, affirme seulement de la première ligne à la dernière que le projet qui germait à cette époque dans sa tête est enfin réalisé dans le texte même que le lecteur est en train de lire, comme si la littérature était non pas un reflet de la vie, mais la finalité ultime de celle-ci. Il en va tout autrement chez le romancier épique coréen : tout au long de son récit, on a pu sentir, même lorsque les sujets accomplissaient sans le vouloir ou en l acceptant pour les plus héroïques d entre eux, une destinée qui les broyait et les réduisait à la misère physique et morale la plus absolue, un principe positif, que nous avons appelé, pour aller vite, le patriotisme absolu. Mais lorsque dans l épilogue du tome XII (p. 357-358), il revient sur son intention, tout au long de ce travail titanesque (et conscient de l être), il écrit qu il a voulu consoler les quatre millions de victimes de cette tragédie. - 140 -

Et il ajoute : Je n ai pu m empêcher de me demander dans quelle mesure nous avons un sentiment de fierté et de dignité nationales. Plus la réponse à cette question était négative, plus les raisons qui me poussaient à écrire Arirang devenaient évidentes. Il y a là des propos qui, d une certaine façon sont hermétiques au lecteur européen. Que signifie le verbe «consoler»? Le lecteur européen, s il est très cultivé, pense à Sénèque, Boèce, Malherbe, autant dire des auteurs d une antiquité pratiquement inaccessible et une problématique complètement obsolète et oubliée. Rien de tel à l époque moderne : Marguerite Duras se situe, comme tous ses contemporains, dans une optique de la «réussite» qui emporte dans une tempête romantique (le fameux Sturm und Drang germaniques) toute la négativité du monde : misère affective, désespoir d une sexualité sans amour, primauté de l argent, etc. La réussite du dire emporte toutes les négativités du dit. A la dernière ligne de son œuvre, le romancier coréen ne célèbre même pas l expulsion des Japonais ; il ne pense qu à la «tragédie» de la guerre civile qui, au moins aussi atroce que la domination japonaise, va immédiatement suivre. Et le lieu d où il écrit, où il écrit, n est pas le lieu où pacifiquement «un sentiment de fierté et de dignité nationales» peuvent désormais régner. Négativité éternelle face à laquelle le «barrage» de la «consolation» paraît dérisoire, comme ce barrage contre le Pacifique que la pauvre mère Donnadieu a voulu élever. On a donc affaire à deux éthiques et à eux esthétiques totalement différentes, voire opposées, dont il faut tenir compte dans notre appréciation. III Riz et rizières Le processus de colonisation, qu il s agisse de la Corée ou de - 141 -

l Indochine, aborde le problème du riz principalement à partir de celui du sol. Au Cambodge, la mère de Marguerite Duras a obtenu en 1928 une «concession» (une propriété) à Prey Nup, dans des conditions qui ne sont parfaitement claires 7 mais dont on peut deviner les données essentielles. La propriété est située au bord de l Océan Pacifique et, pour qu elle soit cultivée, il faut qu elle soit mise à l abri des inondations d eau salée lors des grandes tempêtes ; il faut donc construire des digues et investir dans des travaux de terrassement ; ces travaux, comparables à ceux qui ont abouti au Pays-Bas à la création de ce qu on appelle des «polders», ne sont évidemment pas à la portée d une famille sans capitaux. Nous savons par ailleurs qu ils n ont été menés à bien que des dizaines d années plus tard et non sans difficultés : un projet de 11 millions d euros d après Le Monde du 25 mars 2009. La famille Donnadieu va donc à l échec, même si la main- d œuvre locale est très peu chère. Elle ne pourra pas rembourser le prêt qui lui a été consenti pour l achat de la concession et la mère devra se résigner à redevenir l institutrice qu elle était en France avant d émigrer. Cet échec redouble celui qu elle a connu avant son émigration et provoque de sa part et de la part de ses enfants une série de récriminations contre l administration française, en particulier contre «le cadastre» (mot significatif que nous 7 Voir A. Boudillon, La Réforme du régime de la propriété foncière en Indochine, HanoÏ, Idéo, 1927 ; Pierre Brocheux, «Grands propriétaires et fermiers dans l Ouest de la Cochinchine pendant la période coloniale», Revue historique, n 246, juillet-septembre 1971, p. 59-76 ; Ta Thi Tuy, Les Concessions agricoles françaises au Tonkin de 1884 à 1918, Thèse, EHESS, 1993, René Erny, Les Concessions de terres domaniales en Cochinchine, Poitiers, Blais et Roy, 1904 ; Paul de Feyssel,, L Endettement agraire en Cochinchine, Hanoï, Idéo, 1931. Il faut bien voir que la situation de la famille Donnadieu en Indochine est assez particulière. L octroi d une «concession» suppose de la part du bénéficiaire une capacité d investissement assez élevée ; la situation plus que modeste de la famille Donnadieu correspond à certains aspects de la colonisation en Algérie par exemple, dans la perspective de ce qu on appelle la «colonie de peuplement», où une population relativement nombreuse vient s installer dans la colonie. Or l Indochine n a jamais été cela : cette colonisation a été économique, administrative, financière, culturelle. Mme Donnadieu rentrera dans le rang en redevenant institutrice. - 142 -

retrouverons à propos de la Corée), qu elle accuse de corruption et de malhonnêteté, parce qu elle a vendu une propriété qui n avait aucune chance d être cultivée, sauf à disposer de capitaux importants et du soutien sans défaillance de l administration française. Cet échec débouche d autre part sur le développement de la solidarité entre une famille de colons (de faux colons en fait) et la population locale, même si l on peut soupçonner l auteur d exagérer un peu, après coup, pour des raisons politiques (Marguerite Duras affichait des positions communistes, anticapitalistes). Cette solidarité entre le «petit blanc» et l autochtone a été encore exagérée dans le film ; mais l œuvre de Céline citée plus haut montre qu elle a correspondu à certains aspects de la réalité. Sur ce point, l œuvre de Marguerite Duras présente une importante lacune, en même temps qu elle ouvre un questionnement intéressant. La lacune, c est qu elle n analyse en aucune façon la politique foncière menée par l administration coloniale, qui a amené, dans certains cas, à la constitution de grands domaines livrés à des cultures industrielles (l hévéa par exemple). Mais elle donne des indications précieuses sur un aspect de la colonisation souvent négligé et que nous avons déjà souligné plus haut : la puissance colonisatrice n est pas homogène ; elle comprend deux parties, profondément différentes : l une qui vise à la constitution d un pouvoir politique et économique qui dépasse les frontières du pays d où il est originaire et qui s en donne les moyens, l autre qui est constituée de soldats et de «petits blancs» qui ne disposent pas des moyens de parvenir au même résultat, qui sont mis souvent dans des situations climatiques, sanitaires, sociales, économiques très difficiles, où ils perdent souvent tout et jusqu à leur vie 8. Indirectement, en revanche, l œuvre de Marguerite Duras développe un aspect de la complexité peu présent dans l épopée de Jo 8 On pourrait parler des maladies tropicales, de la mort des soldats (jusqu à Dien Bien Phu) et des massacres de Français qui ont eu lieu pendant la seconde guerre mondiale. - 143 -

Jong-nae. Dans cette oeuvre, le Japonais est toujours présenté comme un homme qui dispose d un pouvoir discrétionnaire sur un peuple qu il considère comme inférieur 9 au point de le réduire quasiment à l esclavage, et il n y a aucun doute sur la réalité de cette attitude. Mais d un autre côté on voit fugitivement débarquer un très grand nombre de Japonais, et un passage indique que le gouvernement japonais avait pour objectif d introduire en Corée deux millions de Japonais pour quadriller l espace coréen et le rendre totalement dépendant de la puissance colonisatrice. En d autres termes, le dessein japonais était de faire de la Corée ce qu on appelle en Occident une «colonie de peuplement» 10. Ce projet n a pas pu être complètement réalisé, même de façon éphémère : un passage du roman parle toutefois de l arrivée de 150.000 colons en peu de temps, ce qui est beaucoup. Ce détail permet de considérer comme probable que les deux millions de Japonais (p. 194) qu on envisageait d installer en Corée n étaient pas tous des administrateurs sans scrupules ou des militaires et des policiers sans pitié, ayant à leur disposition les moyens le plus cruels et les plus efficaces pour parvenir à leur but. Ces émigrés, qui ont désiré quitter leur pays ou qu on a invités (euphémisme) à le faire étaient probablement pour une part des laissés pour compte de l économie ou de la société d où ils étaient originaires 11. La vision d une partie des 9 De la même façon qu en France on parle à l époque de «races inférieures» et de «races supérieures» (Jules Ferry, Léon Blum!) même s il ne faut pas prendre le mot «race» dans le sens du nazisme (nature humaine), mais dans le sens de culture. 10 «Disperser tant de personnes sur le territoire de Corée pour y prendre racine, revenait à transformer ce pays en province japonaise pour toujours» (p. 200) ; ce fut, en gros, la situation algérienne, dont il n a jamais été question pour l Indochine. 11 En 1918, il y avait eu au Japon des «émeutes du riz» (du riz cher) : le Japon manquait de riz : c est assurément l un des aspects de son «exploitation» des ressources coréennes. Ce qui rend la situation encore plus complexe, c est que la structure coloniale engendre quasi mécaniquement une forme de contre-colonisation dont on perçoit bien la réalité à la fois en Europe et en Asie. Symétriquement à l installation d une population européenne au Maghreb, mais avec un décalage important, une importante population maghrébine est désormais installée définitivement en France, ce qui a des conséquences économiques, culturelles et religieuses qui ne sont pas négligeables. En 1945, il y avait 2,1 millions de - 144 -

colonisateurs que nous offre Marguerite Duras adolescente, dans une famille qui, malgré ses efforts, ne bénéficie que très peu des immenses profits de la colonisation apparaît peu chez Jo Jong-nae, au moins dans le t. IV, ce qui est normal parce que la présence de cette subjectivité impliquerait, de la part du narrateur une forme d identification, qui est incompatible avec le dessein qu il caresse de constituer un patriotisme coréen. On verra plus loin qu il faut néanmoins nuancer cette lecture du roman. En revanche, le romancier coréen, montre très précisément la procédure foncière qu utilise le pouvoir colonial pour s imposer 12, ce que Marguerite Duras, trop jeune au moment des faits et pas assez historienne au moment où elle écrit, ne peut pas faire. Ce processus vise à s emparer des richesses d un pays en accaparant la terre qui est nécessaire à la production agricole voire industrielle (alcool de riz). Et sur ce point les analyses historiques valident entièrement le récit de Jo Jung-nae. Globalement, les outils essentiels du colonisateur sont au nombre de trois : le chemin de fer, les relations postales, téléphoniques et télégraphiques, le cadastre, ces trois moyens pouvant tous être rapportés à un processus de modernisation, dont la logique est facilement rentable à tout point de vue, donc efficace, idéologiquement, politiquement, économiquement, militairement. Le train permet de se déplacer à une vitesse fortement accrue (voir à la même époque l importance du train dans la guerre civile entre le régime communiste soviétique et les Russes blancs) les forces armées et la police et les communications télégraphiques et téléphoniques multiplient la vitesse de transport de l information. Quant au cadastre, s il permet officiellement de garantir la propriété, en fait c est un Coréens au Japon : qu ils aient été considérés comme des êtres humains de second rang n a pas d importance. La dynamique des relations interpersonnelles est plus forte que tout : «Depuis 1990, plus de 80 % des mariages impliquant au moins un partenaire coréen se font avec un Japonais ou Japonaise.»(Philippe Pelletier, Atlas du Japon, Autrement, p. 38) Il faut seulement du temps. 12 Voir notamment p. 34-41, 52-53, 185 etc. - 145 -

système qui permet la spoliation d une partie des propriétaires. Jo Jongnae analyse dans le détail le processus : chaque propriétaire doit fournir à l administration japonaise les titres de propriété des terrains qu il cultive et occupe (ceci se passe autour de l année 1912) : tâche impossible pour une partie de la population, qui ne sait ni lire ni écrire, qui ignore les caractères chinois, dont les titres de propriété n ont jamais été qu oraux, qui ne peut pas discuter de ses problèmes en japonais, qui ne répond pas à l enquête en temps voulu, qui ne comprend même pas ce qu on exige d elle, qui répond à contre sens. L opération se fait avec l aide des «délégués», Coréens souvent nobles chargés d organiser l opération, mais dont l objectif est de s enrichir : de là d ailleurs une relation complexe et conflictuelle entre les Japonais, les «délégués» et les petits paysans, chaque partie essayant de défendre avec âpreté ses intérêts contre les deux autres. Les buts de l opération sont ainsi résumés par le narrateur : Premièrement, permettre au gouvernement général [japonais] de mettre la main sur un maximum de terres à travers tout le pays. Deuxièmement, établir avec minutie la liste des propriétaires et de leurs possessions en vue de percevoir l impôt. Troisièmement, évaluer avec précision la superficie du territoire pour mieux le contrôler, tant sur le plan politique et économique que militaire. Enfin, quatrièmement, réduire en sujétion les petits propriétaires et renforcer la puissance du Japon. (p. 52) La technique, spécifiquement coloniale, est de même nature en Indochine, avec toutefois des moyens d action plus faibles. En Corée, tout terrain dont les droits de propriété ne sont pas écrits et vérifiés tombe automatiquement dans le domaine public, c est-à-dire entre les mains de l administration japonaise, qui peut les vendre à des prix - 146 -

bradés aux Japonais 13. Le paysan coréen n est pas pour autant chassé, sauf lorsqu il est réquisitionné pour travaux publics, déporté au Japon ou enrôlé de force dans l armée japonaise : mais de propriétaire qu il était, il devient ouvrier agricole ou fermier, avec un fermage allant jusqu à 50% ou même 80 % de la récolte. Ainsi, ce qui était approximatif dans l œuvre de Marguerite Duras est mis au premier plan et vivement éclairé dans l œuvre de Jo Jong-nae. La politique coloniale est une politique de l espace, dont la maîtrise est acquise par les trois moyens cités plus haut, ce qui signifie aussi que cette politique est aujourd hui complètement obsolète, dépassée. Car les rapports de pouvoir, grâce aux media, à l ordinateur et à la monnaie virtuelle, ont complètement changé non pas de nature (il y a toujours des dominants et des dominés), mais de moyens. Ils étaient réels ; ils sont devenus virtuels, c est-à-dire déterritorialisés, ce qui n enlève rien à leur violence ni à leur efficacité. Celle-ci est seulement moins visible et elle s attaque directement aux systèmes nerveux, au lieu d intervenir physiquement dans le système des produits (le riz) et des territoires. Il faut souligner néanmoins les limites de cette politique de l espace, essentielle à la procédure comme à l idéologie coloniale : deux 13 Autres mesures allant dans le sens d une maîtrise du foncier par l occupant japonais : en 1908, confiscation de toutes les terres royales ; en 1909, confiscation des terres servant à l entretien de l armée coréenne ; en 1910, création d un bureau du cadastre ; en 1911, confiscation de toutes les forêts. Résultat : en 1930 40 % du sol coréen est devenu propriété japonaise (André Fabre, op. cit., p. 315). Il faut souligner que rhétoriquement les notions de cadastre («les Coréens qui ne sont pas encore civilisés ne savent même pas ce qu est l arpentage», dit un Japonais p. 32) et de droit de propriété en Corée, comme en Indochine, dans le discours japonais comme dans le discours français, appartiennent au registre de la modernité. Il faut cependant nuancer cette interprétation : la mise en place d un cadastre peut être interprété, du point de vue japonais, comme une procédure de modernisation de la Corée ou d un autre côté (c est ce que font le paysan coréen et l historiographie coréenne), comme une procédure d expropriation systématique de propriétaires coréens. A l appui de la première interprétation, il y a le fait que, au Japon même, la réforme foncière de 1876 avait provoqué des révoltes paysannes. L expropriation peut dont être portée au débit soit du colonialisme, soit de la modernité, soit encore des deux idéologies plus moins confondues dans l esprit du colonisateur-moderniste japonais. - 147 -

pages du roman de Jo Jong-nae évoquent brièvement ses conséquences désastreuses : diminution de la surface cultivée : 500.000 hectares de moins cultivés en 1944 à cause de la diminution de la main d œuvre réquisitionnée pour des tâches industrielles ou militaires, prélèvement tellement excessif sur les récoltes que la sécurité alimentaire de la population est mise en cause et entraîne d innombrables efforts dans la population pour ne pas fournir les quantités exorbitantes exigées par l occupant (dissimulation, marché noir ) Ce qui peut aussi se lire aussi d une autre façon : la rationalisation coloniale détruit le système de production, et cela au fond, parce que le système de production traditionnel est d une telle complexité, d une telle sophistication, qu on ne peut pas le changer radicalement sans le détruire. IV La colonie : mosaïque et empilement Nous devons à présent revenir sur les considérations de notre première partie sur la complexité de la situation coloniale. Nous avons déjà vu que dans le cas de l Indochine le colonisateur est dédoublé : un colonisateur politique, un colonisateur économique, de même que le colonisé : un colonisé colonisé, et un colonisateur colonisé, qui partage certains privilèges de l un des colonisateurs, mais qui se trouve, au bout du compte dans une situation de dépendance si forte par rapport à ses propres nationaux qu il en arrive parfois à se sentir solidaire de ceux qu on appelle «les indigènes». Il y a donc dans la population locale une communauté qui est en position dominante par rapport aux autres catégories, en l occurrence les Chinois maîtres des échanges, de la circulation monétaire, voire de la propriété foncière. Le Chinois, chez Marguerite Duras, joue un rôle capital et qu il faut analyser soigneusement. Rappelons d abord les faits : la jeune Marguerite Donnadieu a environ 17 ans quand elle fait la rencontre, cette fois en Cochinchine, près de Saigon (Ho Chi Min ville), d un jeune Chinois qui - 148 -

dispose d une magnifique voiture et d un chauffeur. Son père est riche et il a passé lui-même plusieurs années en France, en théorie pour faire des études, en fait en attendant le mariage arrangé par son père avec une jeune Chinoise ainsi que la succession de son père dans la conduite des affaires familiales. La jeune fille française, qui veut se débarrasser au plus vite d une virginité qui lui pèse, devient sa maîtresse, ce qui lui permet de bénéficier d un niveau de vie plus élevé que chez elle et de cadeaux pour elle et sa famille. Le père de «l Amant» mettra fin à cette aventure, Marguerite rentrera en France et tout rentrera dans l ordre. En fait nous avons eu affaire, pendant une période assez brève, à un renversement très significatif de l ordre colonial. Dans l ordre colonial, un colon riche (pléonasme) prend pour maîtresse une belle et jeune indigène à qui il fait de jolis cadeaux, ce qui facilite les relations, comme on sait. On n est pas très loin de la prostitution 14, même si elle est euphémisée, (le mot est cependant employé par Marguerite Duras elle-même à propos de sa liaison avec l amant chinois, sans doute par manière de provocation). Après s être «amusé» avec cette belle indigène pendant quelque temps, le jeune colon riche fera (si ce n est pas déjà fait), un mariage de convenance avec une Française moins exotique, plus conventionnelle. Or, ici, c est l inverse qui se produit : le jeune indigène est riche ; il connaît bien Paris et ses séductions («les «petites femmes» de la «vie parisienne») alors que la famille de Marguerite vient d une ferme boueuse du Nord de la France ; il prend pour maîtresse une Française pauvre (oxymore) ; il se comporte donc en colonisateur et le rapport colonisateur-colonisé est inversé. Ce renversement s explique parfaitement d un point de vue historique : les Chinois expatriés disposaient (disposent?) d un pouvoir financier et économique qui était (est?) largement de nature coloniale, même si la colonisation chinoise ne prenait pas (ne prend pas?) en général, les 14 La colonisation comporte une dimension sexuelle ; la tragédie des «femmes de confort» coréennes montre à quelles abominations on peut ainsi arriver. - 149 -

formes politiques, administratives et militaires mises en œuvre par les Européens. Du reste, les analystes de la situation indochinoise sont d accord pour admettre que les colons et administrateurs français avaient conscience de se trouver, vis-à-vis de la puissance chinoise installée au Vietnam, dans une situation de concurrence 15. On peut même aller plus loin : l ensemble de l Indochine est une mosaïque ou plutôt un empilement d ethnies autour d une disjonction assez générale (Indo/Chine) qui tient aux influences indiennes d un côté, aux influences chinoises de l autre : les Vietnamiens proprement dits se trouvaient dans la hiérarchie ethnique dans une situation inférieure à la couche chinoise, mais au-dessus de deux autres catégories, les Cambodgiens et les Laotiens, d un côté, dont la cohérence nationale était reconnue, et les peuples des montagnes, pour lesquels on pourrait reprendre la terminologie chinoise de «minorités nationales» ou taïwanaise d «aborigènes», dont le poids politique et économique était nul ou réduit à quelques symboles dénués d importance. Cette situation déjà très complexe va le devenir encore davantage lorsque l administration s aperçoit, dans les années 1930, que les Japonais 16 15 Voir René Dubreuil, De la Condition des Chinois et de leur rôle économique en Indochine, Bar-sur-Seine, C. Caillard, 1910 ; Jean-Pierre Lafargue, L Emigration chinoise de l Indochine, Paris, H. Jouve, 1909. Il faut remarquer que la seconde guerre mondiale, dans la région dont nous nous occupons, met en présence trois catégories de forces qui se disputent le privilège colonial, impérial : les Japonais, les Européens, les Chinois. Les Japonais ont adopté vis-à-vis des Chinois des procédés d une barbarie sans exemple (massacre de Nankin, massacre des Chinois de Malaisie et de Singapour), sans doute parce qu ils se considèrent eux-mêmes comme des concurrents de ces derniers, tandis ont eu vis-à-vis des autres peuples une attitude assez différente : férocement colonialiste et en même temps, parfois, protectrice et paternaliste. Le Japon fait ouvertement la guerre à la Chine («la guerre de 15 ans» commencée en 1931) et aux Européens ; il veut coloniser la Corée. Maladresse extrême ou comble de l hypocrisie? En tout cas, ce n est pas la même chose, même si les moyens employés sont presque les mêmes. 16 Voir René Arnaud, «L expansion économique du Japon dans les colonies françaises», Univers, n 17, août-septembre 1936, p. 19-20. Dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale (9 mars 1945) les Japonais vont jusqu au bout en occupant militairement l Indochine ; occupation éphémère : Ho Chi Min les chasse le 19 août de la même année. Les situations en Corée et en Indochine sont comparables : la Corée, - 150 -

font un effort de pénétration dangereux pour la présence française : cette présence ne sera d ailleurs jamais très importante (34.000 personnes contre 23 millions d «indigènes» en 1940) et la colonie s effondrera comme un château de cartes pendant la seconde guerre mondiale ; c est seulement après la fin de cette guerre, que les Français ont tenté de reprendre la main, jusqu au désastre de Dien Bien-phu. On voit donc que l opposition colonisateur/colonisé ne rend que très mal compte de la complexité de la situation : un grand nombre d ethnies ou d organisations politiques, économiques et sociales s empilent ou s interpénètrent dans une symphonie/cacophonie où le nouvel arrivant, aussitôt stigmatisé comme colonisateur unique, a bien du mal à trouver ses marques et sa place. Dans ce cadre, le riz représente, parce que sa culture est complexe, parce qu il est le principal constituant de l alimentation, parce qu il est un produit économique essentiel (exportation : l Indochine est le second pays exportateur de riz du monde en 1938)), l enjeu essentiel, au centre de tous les conflits. L œuvre de Marguerite Duras, sous son apparent esthétisme, met donc l accent sur les deux aspect les plus importants de la colonisation de l Indochine par la France : le rôle du riz, traité au moins partiellement par la voie de la propriété foncière ; la complexité ethnique du pays. De ce point de vue, l ouvrage récent de Nicole Tran Minh fait ainsi avec sévérité 17 le bilan de la colonisation du Cambodge par la France: La colonisation française reste donc totalement étrangère aux rouages économiques et commerciaux mais, comme une liane sur un arbre, elle vient se greffer dessus l activité existante pour comme l Indochine, est un pays que se disputent plusieurs colonisateurs : deux colonisateurs asiatiques, les Chinois, désignés comme tels dans un passage de Jo Jong-nae, (p. 193) et les Japonais ; plusieurs colonisateurs européens : Russes, Américains, Anglais, Français, Hollandais 17 Sévérité à nuancer : la surface des rizières est passée en Cochinchine de 380.000 ha en 1868 à 2.500.000 ha en 1952 et l administration française a construit barrages, digues et canaux nécessaires à l irrigation. - 151 -