ELLE182 ELLEart ELLE183 1. photographer DIANE ARQUES writer editor BEADS AND SPLASH 2. 3. 4. 1 2 3 4
0123 JEUDI 21 AOÛT 2014 festival berlioz 3 Les galaxies musicales de François-Frédéric Guy Rencontre avec ce pianiste passionné d astronomie qui donnera, pendant le Festival, l intégrale des sonates de Beethoven en l église de La Côte-Saint-André ans, j ai vu la terre entière, j ai joué avec des chefs immenses et j ai rencontré des «A45 gens exceptionnels.» A entendre François-Frédéric Guy dresser un tel bilan, on pourrait croire qu il a fini de rouler sa bosse sur la planète musicale. A le regarder, aussi. Les yeux embusqués dans une jungle de poils grisonnants, il a l air d un Robinson satisfait de son sort. De fait, le pianiste au faciès odysséen a tout du naufragé volontaire lorsqu il dit se préserver «la possibilité d une île» dans son océan de concerts, une plage où se ressourcer en écoutant les autres. Mais ces évasions régénératrices sont rares. La dernière remonte à environ un an et se résume à un souffle : «le Ring», de Wagner. Donnée à l Opéra de Paris dans son intégralité (pour la première fois depuis 1957) sous la direction de Philippe Jordan, la Tétralogie a déterminé un «moment capital» dans la vie du pianiste, qui entretient une passion pour Richard Wagner depuis l adolescence. «J ai pleuré après avoir découvert le premier acte de La Walkyrie», se rappelle le musicien, alors en proie à un dilemme. Richard Wagner n ayant rien écrit pour piano, fallait-il changer d instrument? François-Frédéric Guy n est pas allé jusque-là et a tenté de résorber sa frustration en dévorant l œuvre de Franz Liszt, «du Wagner pour piano». Il a bien fait. Sa version de la Sonate en si mineur (pour le label Zig Zag Territoires) est un des fleurons de la discographie lisztienne. Quant au piano, il a constitué pour «FFG» un mode d accès privilégié au firmament. Mais ce n est pas le seul. Outre un Yamaha de concert (aussi performant que sa voiture allemande) et un Steinway demi-queue (aussi raffiné que sa cafetière italienne), le mobilier du globetrotter retranché en banlieue parisienne comporte un télescope. Dès qu il le peut, François-Frédéric Guy s adonne, en effet, à l observation des étoiles. En amateur éclairé. D ailleurs, il compte bientôt s offrir une lunette équipée d un système «Go to». A son interlocuteur intrigué, il explique qu il pourra ainsi «pointer» directement «les objets de Messier». Nouveau blanc dans la conversation. Charles Messier (1730-1817), l homme qui a répertorié 110 objets célestes, celui que Louis XV a surnommé le «furet des comètes» On croit avoir perdu de vue la musique mais François-Frédéric Guy reprend : «L astronomie, c est comme le Ring ; j ai toujours aimé l immensité, ce qui me dépasse. Chopin, Beethoven». Se sentir tout petit devant un compositeur d exception? Passe pour Chopin, qui a jadis plané dans la maison familiale sous les doigts paternels. Mais comment croire que Beethoven soit encore intimidant pour quelqu un qui l a joué des centaines de fois en public et l a enregistré sur une quinzaine de CD? «Il est vrai qu avec lui je me sens dans mon élément, concède le furet des sonates, et qu il a produit en moi une sorte de big bang.» François-Frédéric Guy est attiré par le corpus beethovénien parce qu il forme un tout au sein duquel chaque œuvre conduit à la suivante. «L opus 109 est plus révolutionnaire que l opus 111», affirme celui qui n a pas examiné les 32 Sonates par le petit bout de la lorgnette : après avoir donné la totalité de ces 600 pages au cours d un DIANE ARQUES POUR «LE MONDE» même festival (le Printemps des arts de Monaco, en 2008), il les a enregistrées à trois reprises! Toutefois, selon «FFG», cinq minutes de Chopin (une mazurka) sont aussi efficaces pour tutoyer l infini que dix heures de Beethoven (les 32 sonates). «La mazurka, c est la planète X entre le nuage d Oort vaste ensemble sphérique qui serait à la frontière du système solaire et Pluton, celle qu on n arrive pas à voir, qui est un minuscule point dans l univers et qui recèle en elle-même tout un monde.» Les poussières d étoiles signées Chopin seront donc explorées par ses soins «dans les dix ou quinze prochaines années». De même que la galaxie Mozart, pour une tout autre raison. «Je veux sonder son art de la dramaturgie jusque dans les sonates habituellement délaissées, éclairer ce qui se joue dans l ombre de la main gauche.» Le théâtre sous les notes de musique. Wagner, Mozart et Beethoven, même combat pour ce metteur en scène du clavier qui, après avoir dirigé des concertos depuis le piano, envisage tout bonnement de monter sur l estrade pour interpréter des symphonies. Aboutissement logique d une réflexion entamée dans les années 1990 avec «Avec Beethoven, je me sens dans mon élément. Il a produit en moi une sorte de big bang» le pianiste Leon Fleisher, devenu son mentor. «Il m a appris mon Beethoven», confie «FFG», en soutenant que le refus des interdits proclamés par le compositeur le rapproche des créateurs de notre époque. De fait, la musique contemporaine est très présente dans l activité du pianiste, chambriste et chef d orchestre en devenir, qui, sur son site (www.ffguy.net), réserve un espace à ses compositeurs de prédilection. Bruno Mantovani a sa faveur pour un humour et une prolixité qui l apparentent à Joseph Haydn et pour son sens de la synthèse qui le situe au niveau d un Maurice Ravel. Son Concerto pour deux pianos, dont François- Frédéric Guy a assuré la création anglaise, en février, avec la pianiste franco-arménienne Varduhi Yeritsyan, «ressemble à un vaisseau spatial et donne une image plus complexe du compositeur que celle habituellement véhiculée». Chez Marc Monnet, créateur iconoclaste et expert en programmation (directeur artistique du Printemps des arts de Monaco, c est grâce à lui que l intégrale des sonates de Beethoven y a été donnée en 2008), comme chez Hugues Dufourt, en passe de lui écrire une nouvelle pièce, François-Frédéric Guy apprécie la dimension visionnaire, une qualité qui lui permet de se retrouver pleinement dans la «musique spectrale». Gérard Grisey, l un des fondateurs de ce courant apparu dans les années 1970, a d ailleurs composé une œuvre qui lui est chère. Tant pour son titre, Le Noir de l étoile, que pour ses données scientifiques, fournies par l astrophysicien Jean-Pierre Luminet. Ce dernier est, en effet, un proche du pianiste au télescope. p pierre gervasoni D epuis sa création en 2010, le Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz a participé chaque été au festival de La Côte- Saint-André, d abord avec le Te Deum, puis les rares Scènes de Faust (2011), enfin Roméo et Juliette (2012) et Béatrice et Bénédict (2013) avant La Damnation de Faust, qui sera donnée cette année en clôture le 31 août. L idée de fonder un orchestre autour de la musique de Berlioz est née d une rencontre, celle du directeur du festival, Bruno Messina, et du chef d orchestre français François-Xavier Roth, connu pour son action pédagogique au sein des Siècles, l orchestre professionnel qu il a Des instruments d époque pour faire revivre l œuvre Le Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz donnera «La Damnation de Faust» en clôture du festival lui-même créé en 2003. «Les jeunes ont entre 17 et 28 ans, ils sortent des grandes écoles de musique européennes, de France, d Allemagne, de Suisse, du Royaume-Uni. Tous s intéressent au répertoire français de la première moitié du XIX e siècle, qu ils veulent pratiquer sur instruments d époque», explique François-Xavier Roth. Le succès est tel que la formation a dû refuser cette année une cinquantaine de candidats. Après un premier stage dispensé par quelques musiciens des Siècles début juillet, dans les locaux du Conservatoire de région, au 14, rue de Madrid, à Paris, une deuxième semaine accueille du 25 au 31 août les apprentis berlioziens dans le village natal du compositeur. «Les instruments à vent d époque leur sont bien sûr fournis, précise François-Xavier Roth, tandis que violons, altos et violoncelles apprennent à monter leur instrument de cordes en boyaux et à se servir d un archet romantique.» Œuvres peu jouées Auteur du fameux Grand Traité d instrumentation et d orchestration modernes (1844), Berlioz est un précurseur visionnaire en matière d orchestration. C est pourquoi François-Xavier Roth reste persuadé que ses partitions ont tout à gagner à être interprétées avec les instruments pour lesquels il a composé. «Cela permet de rendre justice à sa pensée musicale, affirme-t-il. Un des reproches communément adressés à Berlioz concerne en effet une certaine grandiloquence, que traduisent les instruments modernes. Mais le fait d utiliser par exemple des cors naturels mêlés aux cors à pistons donne un alliage de timbres beaucoup plus noble et doux.» Cet ancien assistant de Colin Davis puis de John Eliot Gardiner au London Symphony Orchestra souligne à quel point la France est à la traîne, comparée à l Allemagne et surtout au Royaume-Uni, véritable patrie musicale de Berlioz. «A part la Symphonie fantastique, et depuis peu, la Grande Messe des morts, les œuvres de Berlioz sont peu jouées chez nous, commente-t-il. Roméo et Juliette, par exemple, qui est à mon sens son chef-d œuvre absolu, figure peu au programme des orchestres français.» Grâce au Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz, François-Xavier Roth espère former des musiciens capables de défendre les couleurs berlioziennes en France afin de réconcilier le grand homme et son public. «Berlioz reste un répertoire à construire», souligne le chef. Une étape décisive : le 20 juin 2015 verra leur premier concert parisien à la Philharmonie de Paris, dans un Te Deum que l on espère prémonitoire. p marie-aude roux
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